L’oubli de compresse : prévenir le risque collectivement

4 083 événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) ont été déclarés à la HAS (Haute Autorité de Santé) en 2023 [1]. Parmi eux, 53.5% concernent l’oubli de corps étrangers en peropératoire [2]. Ces événements que Relyens qualifie de « never events », suivant la définition de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), sont des incidents qui ne devraient jamais se produire.
Avec plus de 10 millions d’actes chirurgicaux par an en France [3], la survenue d’EIGS s’explique notamment par un volume d’actes élevé, une technicité croissante des gestes opératoires et une fragilité médicale des patients. Ces EIGS traduisent des vulnérabilités systémiques : défaut de communication, zones floues dans la répartition des rôles, stress et fatigue cognitive en fin d’intervention. L’enjeu est alors de rappeler que renforcer la sécurité des patients ne consiste pas à éliminer toute erreur mais à concevoir un environnement qui permette d’anticiper les risques et de progresser collectivement. Checklist, protocole de comptage des textiles en peropératoire et dispositifs connectés sont autant de leviers activables pour renforcer la coordination des équipes de bloc.
Oubli de compresse : un never event fréquent
La charge émotionnelle qui pèse sur la survenue d’un EIGS, en particulier l’oubli d’un dispositif médical dans la cavité abdominale conduit à une sous-évaluation des signalements auprès de l’ARS (Agence Régionale de Santé) et des déclarations sur le portail national. Concrètement, l’analyse HAS d’un échantillon de 1 008 déclarations d’EIGS liés aux dispositifs médicaux révèle que 42, soit seulement 4% étaient dus à l’oubli de compresses ou de champs opératoires [4].
A titre de comparaison, en 2023, Relyens a enregistré 151 never events en France, dont 55 survenus cette même année 2023, soit une moyenne d’un incident par semaine. Parmi eux, les oublis de matériel ou de corps étranger après intervention (n=82) représentent 54% des cas, incluant 21 oublis de compresses vaginales post-accouchement par voie basse.
54% versus 4%, la marge de progression est vaste. Toutefois, l’évolution de la culture du risque intégrant le droit à l’erreur, le facteur humain et l’accompagnement des secondes victimes (soignants) après un EIGS contribuent à faire changer les choses.
Quelles sont les raisons de l’oubli de textilomes ?
Au-delà du constat statistique, l’analyse fine des dossiers révèle des causes récurrentes et évitables.
Dans les spécialités les plus exposées (orthopédie, viscérale, obstétrique, rachis) [5], les incidents surviennent souvent en fin d’intervention lorsque la charge mentale augmente. Le défaut de comptage, la répartition floue des responsabilités, la tension en fin d’intervention ressortent régulièrement dans l’analyse des EIGS.
Erreur lors du comptage des compresses
Dans près de 80 % des cas de matériel oublié en peropératoire, le comptage final avait été déclaré exact. L’omission survient souvent en phase de fermeture quand la coordination de l’équipe s’affaiblit [6].
Oubli de compresses vaginales post-partum
En 2023, Relyens a recensé 21 oublis de compresses vaginales, majoritairement après accouchement par voie basse [7]. L’absence de comptage systématique est une vulnérabilité réversible. Relyens recommande désormais d’aligner les pratiques obstétricales sur les standards du bloc opératoire et de compter les compresses en post-partum.
Fin d’intervention : transmission et responsabilités
La phase de fermeture reste critique : dans de nombreux cas, les consignes postopératoires sont transmises oralement sans validation croisée. Une répartition floue des rôles entre opérateur et anesthésiste induit que certains actes ou vérifications peuvent être supposés faits, sans l’être.
Fatigue et pression temporelle
La fatigue cognitive en fin de procédure favorise la fermeture du site opératoire sans recours à la scopie de contrôle, l’omission du comptage de compresses et la relecture incomplète de la checklist.
Checklist « sécurité du patient au bloc opératoire » : appropriation superficielle
Dans 100 % des dossiers analysés par Relyens, la checklist était tracée comme complète alors que l’EIG témoignait du contraire. Ce décalage témoigne d’un usage en routine parfois mal assimilé malgré sa valeur clinique.
Quelles sont les procédures internes à suivre en cas d’oubli de corps étranger ?
La découverte de l’oubli d’un corps étranger impose une déclaration immédiate : d’abord en interne selon la procédure de l’établissement, puis sur le portail national EIGS auprès de la HAS, conformément au dispositif légal [8]. Le patient doit faire l’objet d’une évaluation clinique et imagerie urgente (scanner, radiographie) pour orienter la prise en charge, notamment si une infection est suspectée [9]. Une revue de morbi-mortalité (RMM) ou CREX (comité de retour d’expérience) doit être engagée avec l’équipe opératoire pour analyser les causes et définir les leviers correctifs [10]. L’obligation d’information du patient, prévue dans l’article L.1142-4 du Code de la santé publique doit être respectée dans les 15 jours suivant la découverte, via un entretien structuré [11]. Enfin, l’établissement doit notifier l’incident à son assurance en responsabilité civile médicale et à l’ARS, selon les protocoles de gestion des incidents graves.
Les conséquences pour les patients
L’oubli de textilome entraîne des conséquences cliniques et médico-légales. Il s’accompagne d’obligations strictes en matière d’annonce et d’indemnisation, engage la responsabilité des soignants ou de l’établissement et peut, dans certains cas, relever du pénal.
Annonce d’un dommage associé aux soins : une obligation légale
L’article L.1142-4 du Code de la santé publique impose d’informer tout patient victime d’un dommage grave lié aux soins, au plus tard dans les quinze jours suivant sa découverte. Le texte prévoit que le patient puisse être assisté par la personne de son choix lors de cet entretien [11]. L’annonce doit être circonstanciée, loyale et documentée dans le dossier opératoire. Concrètement, s’appuyer sur un référent qualité ou un cadre formé facilite cette étape délicate et sécurise la relation avec le patient. Un défaut d’information peut constituer une faute et majorer le préjudice moral.
Indemnisation du patient
L’oubli de compresse est juridiquement considéré comme un événement grave évitable, engageant la responsabilité de l’établissement. Il relève du régime de présomption de responsabilité sans besoin de démontrer une faute individuelle. En droit pénal, cet incident peut être qualifié de négligence ou de manquement à une obligation de sécurité. Lorsqu’il entraîne une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, il expose son auteur à une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, conformément à l’article 222-19 du Code pénal. La réparation s’opère le plus souvent via la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) ou par voie amiable. Une documentation rigoureuse du comptage et des vérifications réduit l’exposition au contentieux.
Qui est responsable en cas d’oubli de compresse ?
L’analyse des 1008 EIGS liés aux dispositifs médicaux (DM) démontre que les causes sont systématiquement multifactorielles : patient (72 %), tâches (66 %), environnement (53 %), professionnels (49 %) et équipe (46 %) [12]. En droit français, l’oubli de compresse est un événement indésirable grave généralement retenu comme fautif. Certaines jurisprudences retiennent la responsabilité du chirurgien libéral tenu de vérifier l’absence de tout matériel avant fermeture, même si le comptage est effectué par l’infirmier diplômé d’état (IDE). L’établissement engage également sa responsabilité pour défaut d’organisation ou de fonctionnement du bloc, comme dans un cas post-césarienne au CHU de Grenoble [CAA Lyon, 5 juill. 2018, n° 16LY00230] [13].
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Comment prévenir l’oubli de corps étranger et optimiser la sécurité au bloc opératoire ?
En 30 ans, le risque anesthésique a été réduit d’un facteur 10 [14]. Pour l’oubli de compresse, la culture du risque passe concrètement par une check-list utilisée en routine, un protocole de comptage maîtrisé, la formation continue des équipes et la prévention du glissement des tâches, intégrés comme réflexes de travail au bloc.
Check-list « Sécurité du patient au bloc opératoire »
Un malentendu dans la transmission de l’information entre professionnels, mais également entre soignants et patients, précèdent ou accompagnent la majorité des EIGS [15].
Obligatoire depuis 2010, la check-list bloc opératoire permet de sécuriser les étapes critiques de l’intervention [16] :
- Identification du patient
- Disponibilité du matériel
- Anticipation des risques
- Comptage final
Sa valeur repose sur son oralisation réelle, le partage des points-clés entre tous les intervenants et la vigilance de l’opérateur. L’absence d’appropriation (check-list « cochée » mais non faite) reste un facteur contributif dans de nombreux EIG.
Relyens propose une formation claire et opérationnelle pour en renforcer l’usage en situation réelle.
Comptage systématique des compresses
Le comptage des compresses, champs et gazes est un pilier de la sécurité au bloc opératoire. Structuré en trois temps – avant, pendant et après l’intervention – il doit être documenté et validé par l’ensemble de l’équipe. L’OMS et la HAS recommandent son intégration systématique dans la check-list opératoire [17].
Avant l’incision
Comptage initial par IDE circulante et instrumentiste, compresse par compresse et champ par champ.
Textiles marqués, radio-opaques et référencés, quantités annoncées inscrites sur un support visible et tracées au dossier.
Pendant l’intervention
Chaque compresse utilisée est récupérée dans un contenant dédié.
Tout ajout est annoncé à voix haute, consigné immédiatement et toute anomalie signalée au chirurgien.
En fin d’intervention
Comptage final à voix haute en binôme, validé par le chirurgien avant fermeture. En cas d’écart : inspection du champ opératoire, contrôle radiologique si nécessaire, traçabilité du comptage dans le dossier opératoire.
Compresses RFID
Une étude observationnelle américaine portant sur 27 637 interventions a évalué l’impact d’un système de détection par radiofréquence (RF) de compresses équipées d’un marqueur RFID. L’implémentation de ce dispositif a permis une réduction de 79,6 % du temps de recherche en cas de doute, 71,3 % des comptages non réconciliés en moins, et une baisse de 46,3 % du recours à la radiographie. Ces résultats montrent que la technologie RFID peut renforcer l’efficacité des vérifications sans allonger les temps opératoires [18]. Elle doit cependant s’intégrer à une stratégie globale, incluant formation, standardisation du comptage et culture partagée de la sécurité.
Formation des équipes
La prévention des oublis de compresses ne repose pas uniquement sur les protocoles écrits, mais sur leur appropriation active par les équipes.
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Glissement des tâches
Les périodes de vacances, jours fériés, weekends sont propices au glissement de taches. En 2023, 60 % des évènements indésirables graves déclarés se sont produits lors de ces situations de vulnérabilité ou un professionnel peut être amené à réaliser un acte ou une vérification qui ne relève pas de son champ de compétences réglementaire [19].
Relyens a documenté un cas dans lequel un glissement de tâche post biopsie de prostate a conduit au décès d’un patient, illustrant les conséquences cliniques et médico-légales possibles.
Les never events selon Relyens
Les événements indésirables graves évitables restent très largement sous-déclarés en France. Selon l’étude nationale ENEIS 3 (Enquête Nationale sur les Evénements Indésirables Graves associés aux Soins dans les Etablissements de Santé), seuls 18 % des EIGS sont signalés en interne, et à peine 1,6 % font l’objet d’une déclaration sur le portail national de signalement [20]. Face au décalage entre réalité clinique et données officielles, Relyens a choisi de ne pas se limiter au rôle d’assureur. La philosophie du groupe est d’accompagner concrètement les établissements de soins sur le terrain : en identifiant les situations à risque, en animant des visites de risques et en diffusant les enseignements tirés des cas les plus critiques. L’analyse des never events devient ainsi un outil de pilotage opérationnel, au service d’une culture de sécurité collective.
Voir la démarche never events RelyensLe management des risques médicaux chez Relyens
FAQ
Quels sont les corps étrangers les plus fréquemment oubliés ?
Les objets les plus souvent oubliés sont les compresses, champs opératoires, aiguilles ou fragments d’instruments. Les compresses non marquées représentent un facteur aggravant majeur dans la détection de ces oublis.
Quelles sont les spécialités chirurgicales les plus exposées ?
Les spécialités les plus à risque, selon les statistiques Relyens, sont l’orthopédie (43 %), la chirurgie viscérale (11 %), la chirurgie du rachis et l’obstétrique. Elles partagent des caractéristiques communes : temps opératoires longs, cavités profondes et manipulations répétées.
Que faire si un oubli de compresse est suspecté après une chirurgie ?
Devant une douleur persistante, un syndrome inflammatoire ou une masse inexpliquée, un scanner ou une IRM doit être réalisé sans délai.
Quels sont les protocoles à mettre en place pour éviter l’oubli de corps étrangers ?
Un comptage systématique en trois temps (avant, pendant, après) est recommandé, ainsi qu’une traçabilité rigoureuse. L’utilisation de check-lists actives, partagées entre tous les membres du bloc, réduit significativement les EIG.
Comment documenter un incident d’oubli de corps étranger ?
Tout oubli de corps étranger doit faire l’objet d’une déclaration sur le portail national EIGS. L’événement doit également être analysé en RMM ou CREX et tracé dans le dossier patient avec chronologie et actions correctrices.
Qui est juridiquement responsable en cas d’oubli de compresse ?
La jurisprudence considère le chirurgien comme responsable principal en cas d’oubli, même si l’erreur vient de l’équipe. Et, l’établissement est généralement co-responsable au titre de son obligation de sécurité.
Quels sont les recours du patient en cas d’oubli de corps étranger ?
Le patient peut saisir la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) ou engager une procédure judiciaire. L’oubli d’un corps étranger étant reconnu comme un événement indésirable grave évitable, il ouvre généralement droit à indemnisation par la solidarité nationale, sans que le patient ait à prouver une faute.
L’assurance hospitalière couvre-t-elle les cas d’oubli de corps étranger ?
Oui. Les contrats d’assurance en responsabilité civile professionnelle couvrent les incidents de type textilome. Les établissements sont tenus de déclarer ces situations à leur assureur dès la constatation de l’événement.
Comment les établissements de santé peuvent-ils se protéger juridiquement contre ces incidents ?
Ils doivent appliquer des protocoles de prévention clairement définis, former régulièrement les équipes et assurer la traçabilité des actes. La HAS recommande également l’analyse systématique des événements indésirables graves (EIGS) et la mise en œuvre de plans d’action correctifs.
Références
[1] https://www.has-sante.fr/jcms/p_3539434/fr/evenements-indesirables-graves-associes-aux-soins-eigs-rapport-annuel-2023
[2] https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/qualite-securite-et-pertinence-des-soins/securite-des-prises-en-charge/securite-des-soins-et-des-patients/article/evenements-indesirables-graves-associes-aux-soins-en-etablissement-de-sante
[3] https://www.relyens.eu/fr/newsroom/actualites/le-panorama-des-risques-lies-aux-soins-2024-est-disponible
[4] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-07/spa_254_rapport_analyse_eigs_en_lien_avec_les_dm_cd_20240725_vd.pdf
[5] https://www.relyens.eu/fr/newsroom/actualites/le-panorama-des-risques-lies-aux-soins-2024-est-disponible
[6] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-10/flash_securite_patient__oubli_de_materiel_chirurgical_et_infections_associees_aux_soins…_les_bons_comptes_font_les_bons_so.pdf
[7] https://www.relyens.eu/fr/newsroom/actualites/le-panorama-des-risques-lies-aux-soins-2024-est-disponible
[8] https://www.has-sante.fr/jcms/c_2787338/fr/declarer-les-evenements-indesirables-graves-associes-aux-soins-eigs
[9] https://www.has-sante.fr/jcms/p_3552083/fr/flash-securite-patient-oubli-de-materiel-chirurgical-et-infections-associees-aux-soins-les-bons-comptes-font-les-bons-soins?
[10] https://www.has-sante.fr/jcms/c_434817/fr/revue-de-mortalite-et-de-morbidite-rmm
[11] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041721139#:~:text=Version%20en%20vigueur%20depuis%20le%2001%20octobre%202020,-Modifi%C3%A9%20par%20Ordonnance&text=Cette%20information%20lui%20est%20d%C3%A9livr%C3%A9e,autre%20personne%20de%20son%20choix.
[12] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024-07/spa_254_rapport_analyse_eigs_en_lien_avec_les_dm_cd_20240725_vd.pdf
[13] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000037249699
[14] https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-mortalite-anesthesique-en-france-resultats-de-l-enquete-sfar-cepidc-inserm
[15] https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/13/2022_13_2.html
[16] https://www.has-sante.fr/jcms/c_1518984/fr/les-check-lists-pour-la-securite-du-patient
[17] https://www.who.int/publications/i/item/9789241598590
[18] https://aornjournal.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/aorn.12698
[19] https://www.has-sante.fr/jcms/p_3634644/fr/flash-securite-patient-periodes-de-vulnerabilite-pas-de-vacance-s-pour-la-securite
[20] https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/eneis_3_2019_.pdf